Gitans catholiques : première paroisse personnelle des « Gens du Voyage »

Depuis quelques mois, un groupe de familles gitanes catholiques du diocèse d’Evry-Corbeil-Essonne évolue avec un nouveau statut : ils forment ensemble une « paroisse personnelle ». C’est la rentrée pour la petite communauté.

Michel Debarre à l'ambon (à droite), à Longpont-sur-Orge le jour de la création de la paroisse, le 13 mars 2011

« Vive le Christ Roi ! » furent les derniers mots du premier martyr et saint gitan, fusillé en 1936 un chapelet à la main. Son nom, Bienheureux Ceferino Giménez Malla, a naturellement été repris par la « paroisse personnelle » dédiée aux « Gens du Voyages » du diocèse d’Evry (Essonne), créée en mars. La communauté n’est pas rattachée à un territoire, mais forme une paroisse officiellement reconnue par l’Eglise Catholique. Ce nouveau statut, les familles gitanes d’Evry l’ont obtenu des mains de Mgr. Michel Dubost le 13 mars. « Ces semi-nomades, ou semi-sédentaires, comme vous préférez, sont attachés à l’Essonne, explique Mgr. Dubost. Ils y font des marchés, donc ils circulent. C’est une population distincte des autres, cela dit ils souvent français depuis plusieurs générations. C’est important qu’ils aient leur place dans la communauté chrétienne. A Igny, cela fait longtemps que la communauté existe. Il y a deux ans, je leur ai confié l’animation de la messe christmale. Ils ont une puissance d’accueil importante. Chaque semaine, ils se réunissent, et depuis longtemps. C’est une communauté très forte. J’ai voulu encourager cela. »

Michel Debarre, moustache et cheveux noir, le tein basané, est un des responsables de la paroisse. Ce soir, il prépare la veillée de prière hebdomadaire de la paroisse, qui rassemble la communauté chaque vendredi. Cette fois-ci, elle a lieu à Igny. Depuis une salle paroissiale, il évoque avec une voix grave et forte le pèlerinage aux « Saintes Maries », où la paroisse s’est rendue en mai dernier. « Marie de Salomé et Marie de Jacobé (ndr : les « Saintes Maries ») auraient débarqué en Camargue avec Lazare (ndr : que Jésus avait ressuscité). Sainte Sara les aurait accueilli. Ces personnes sont venues apporter l’évangile, le témoignage du Christ. Et puis elles ont voyagé sur la mer, en venant de loin. Donc ce sont des voyageuses aussi, quelque part elles font partie des gens du voyage ! »

« La foi qui nous anime nous réunit depuis 27 ans »

Là-dessus, Michel Debarre se lève pour le début de la veillée. Une vingtaine de d’hommes et femmes sont présents, avec quelques enfants. Le Saint-Sacrement (hostie exposée) n’est pas là, on n’a pas trouvé la clé. Tant pis, ce sera tourné vers l’autel et la croix. On entonne des chants. Les uns tapent dans les mains, les autres ferment les yeux. Des intentions de prières jaillissent spontanément. Une femme tombe en larmes. Tous prient ensemble, joyeux. « Gitans, c’est le mot générique, explique Michel Debarre. Mais quand on en prend le vrai sens, il désigne les Gens du Voyage venant d’Espagne. On pourrait aussi nous appeler « Gens du Voyage », mais ça ne serait pas très approprié non plus, parce que demain, tu peux en faire partie si tu prends une caravane comme nous ! Donc nous sommes Gitans. Et la foi catholique qui nous anime nous a permis de réunir à Igny nos groupes de prière depuis 27 ans. Mgr Dubost le savait bien quand il nous a nommés comme « paroisse personnelle des gens du voyage » pour le diocèse. Il connaissait tout notre passé. »

Une paroisse itinérante

Mgr Dubost, le jour de la proclamation de la naissance de la nouvelle paroisse

Ces gens « du voyage » ont en effet, depuis des années, organisé de nombreuses rencontres entre « voyageurs » et monté la « tente de la rencontre », manifestation catholique pour les gens du voyage sous chapiteau. Communauté déjà vivante, elle est devenue la paroisse Bienheureux Ceferino Giménez Malla. Le père Frederic Gatineau, de Longpont-sur-Orge, est leur prêtre référent. La communauté a également son diacre et aumonier, Gérard Henri. Une paroisse itinérante. « Suppose qu’on part demain en caravane avec le chapiteau, poursuit Michel Debarre. Si quelqu’un nous croise, mange avec nous et lance « Tiens Michel, je voudrais être baptisé dans votre paroisse ». Aucun problème ! On le prépare, on arrive à Clermont-Ferrand au bout de trois mois de cheminement, et là on décide s’il est suffisamment préparé. On va alors trouver un prêtre. En tant qu’équipe animatrice d’une paroisse, on peux lui demander de baptiser la personne sur notre accord. » Une communauté que Michel a du mal à décompter. « Franchement… parfois, le vendredi soir, nous sommes cinq. D’autres fois, l’église est pleine. Nous sommes comme le vent ! On ne sais pas ni d’où il vient, ni où il va ! » Pour eux, ce nouveau statut est une chance, car il les aide à s’intégrer davantage, non seulement à l’Eglise locale, mais encore à la société. Tout paroissien est pris en considération par la commune.

« La Terre est à tout le monde ! »

Pas intégrés ? Il faut savoir que Michel Debarre a aussi collaboré à la réalisation du documentaire « Un chemin de liberté », qui raconte l’arrestation de 200 gitans en 1940 dans l’Essonne. Ce film montre une marche de commémoration organisée en novembre 2010. Devant la caméra, une gitane se révolte. « Le but de notre vie c’est d’être ensemble ! Toute la famille, les cousins, les amis, réunis dans les grands champs et sur les places, avec 50, 150, 200 caravanes. Et puis aller vers l’autre, discuter, jouer de la guitare, faire un feu dehors, manger de la grillade… C’est ça notre vie à nous ! Et là, nous ne l’avons plus ! » Michel Debarre renchérit. « Pour moi, la terre est à tout le monde. Mais le tout est de respecter le lieu où tu es, où tu vas, et aussi d’accueillir celui qui vient s’installer un temps chez toi. » Michel Debarre, direct et amical, tutoie dès les premiers mots échangés. A ses côtés, Jacques, surnommé « Grosbébé », hoche la tête avec conviction quand Michel évoque les difficultés que les gens du voyage éprouvent à vivre leur nomadisme.

« Nous sommes tous étrangers et voyageurs »

Mgr. Dubost à la communauté gitane d'Essonne, le 13 Mars : "Votre paroisse est la "Tente de la Rencontre", que je vous demande d’amener de lieu en lieu pour faire découvrir le Christ."

Espérons que ce statut de paroisse parviendra à faire tomber les préjugés, tenaces semble-t-il. Certains paroissiens les accueillent parfois froidement, pour venir en larmes, plus tard, demander pardon quand ils s’aperçoivent de leur erreur.Comment se comprendre ? Michel Debarre voit les choses ainsi : « Si tu gardes tout le temps la parole, tu seras sûr d’avoir raison. Mais si tu écoutes mon discours, cela peut t’amener à changer d’opinion sur moi. Tu vas découvrir une autre personne, tout à fait différente de celle que tu t’es imaginée. Par exemple, « gitans voleurs de poules » : les poules, on ne les vole plus, elles valent 2 euros chez Leclerc ! « Gitans voleurs d’enfants » : j’en ai dix, ça me suffit, je n’en veux pas d’autres ! Mais cela marche dans les deux sens : les gitans sont les premiers à dire entre eux « Ne va pas là-bas, le gadjo (ndr : non-Gitan) va te prendre! » » Michel Debarre évoque alors le nomadisme des gens du voyage avec son regard de chrétien. « Quand tu ouvre la Génèse, tu lis les débuts du peuple hébreu avec Abraham. Sais-tu ce que le mot héber veut dire en hébreu ? Voyageur ! Nous sommes tous étrangers et voyageurs sur cette Terre, et nous n’avons qu’une seule patrie en vue, la patrie célèste ! » Et Michel de terminer son récit, non sans humour, par l’histoire de Caïn et Abel, frères ennemis et fils d’Adam : « Relisez l’histoire de Caïn, qui tue un quart de l’humanité à lui tout seul (ndr : Caïn, Abel, Adam et Eve… !), parce que Dieu n’avais pas agréé son offrande de blé alors qu’il avait béni celle de son frère Abel, qui avait offert un agneau. Pour faire pousser du blé, il faut être attaché à la terre. Pour élever un agneau, il faut être berger, voyager et mener son troupeau. Vous voyez, dès le début on était mal vus ! »

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Publié dans Grands témoins

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